Article paru dans l'Est Républicain en page Vosges le 16 avril 2004

Sur le marché, les Rambuvetais ne marchandent pas leur soutien.

Drôle d'anniversaire pour les Matussière
Les papetiers de Rambervillers fêtaient hier leur Père Cent à l'envers : cent jours de résistance pour que leur usine survive.

Le 6 janvier dernier, un communiqué laconique de Matussière et Forest SA annonce « un plan de redressement ambitieux visant à éliminer les sources de pertes récurrentes », à commencer par la papeterie de Rambervillers, ex-Boucher et lointaine héritière du premier moulin à papier installé là en 1760, sur un bras de la Mortagne.

C'est un vrai coup de massue pour les 200 salariés, dont certains comptent plus de trente ans d'ancienneté ou travaillent en couple à l'usine. Dès le lendemain pourtant, la stratégie des salariés et de leur intersyndicale CGT-CFDT est fixée. Mot d'ordre : continuer à produire et protéger l'outil de travail pour « donner une bonne image » dans le but de trouver un repreneur.

Licenciés le 26 avril
La résistance s'organise rapidement devant l'usine, où les volontaires du piquet de garde se relaient 24 heures sur 24 et par tous les temps, entre le feu et les chalets de Noël de la ville de Rambervillers. Simultanément, les Matussière donnent l'alerte tous azimuts, mobilisent 1000 personnes dans les rues du chef-lieu, lancent leur site internet, appellent les élus à la rescousse, impriment un journal, vont tirer la sonnette du ministère de l'Industrie...

Hier, 100 jours exactement après l'annonce funeste, les papetiers ont décidé de marquer le coup en célébrant ce « Père Cent » à l'envers, qui les rapproche d'une échéance qu'ils espéraient éviter. Le 26 avril, ils seront officiellement licenciés.

Un papetier allemand de Forêt-Noire
Pourtant, l'espoir de trouver un repreneur se précise au fil des jours. Après les nombreux contacts établis par le Capev, deux ou trois candidats sont sur les rangs : un Suédois peut-être intéressé aussi par le site de Raon l'Etape, un cartonnier belge et surtout un papetier allemand de Forêt-Noire, à 150 km de Rambervillers, qui devrait annoncer sa décision à partir du 8 mai.

« Mercredi, le PDG Henri Kreitmann a appelé Yannick Marquis, le secrétaire du comité d'entreprise, et lui a confirmé qu'il était prêt à lui céder l'usine. Il reprendrait 100 à 110 personnes. Le Belge n'a pas encore déposé de dossier. Il a demandé trois semaines de délai à partir du 7 avril. Le problème, c'est que nous serons obligés de passer par la case « arrêt » le 26 avril... », résumait hier le délégué CGT Jean-Christophe Capdet, installé avec plusieurs collègues sur l'un des deux barrages filtrants dressés à l'entrée de Rambervillers.


Portes ouvertes le 24 avril
Côté Vomécourt, les affaires marchent rondement. Entre un coup de klaxon de sympathie des transports Mauffrey et un brin de causette avec l'automobiliste qui leur conseille « d'aller foutre le b... à l'Elysée ! », les Matussière distribuent à tour de bras leur journal (« Notre papeterie vivra ! ») et un tract annonçant leurs journées « Portes ouvertes » du 24 avril (1). Il n'est que 10 h du matin, mais la troupe sera bientôt à court de munitions.

Au centre-ville, les papetiers ont campé leur stand à l'entrée de l'opulent marché, qui prend des airs de Provence sous un ciel d'azur. Dans les effluves de poulet rôti, les badauds s'attroupent autour d'Annie, l'épouse d'un Matussière, installée derrière la table où chacun est invité à signer la pétition de soutien et reçoit en échange une ramette-souvenir de papier « MF ». Sous le soleil, les sourires sont un peu crispés. « Ces deux dernières années, on a été sacrifiés volontairement », soupire l'élu CFDT Patrick Boulas.

La rogne bleue, jaune, rouge
Sur le petit pont qui enjambe la Mortagne, Michel et Fabrice ont trouvé l'endroit stratégique : on fait la queue pour signer la pétition, même la conseillère générale Martine Gimmilaro qui ajoute un mot (« Continuez ! »), en promettant d'écrire au maire de Ramber Gérard Keller : « Ce serait bien qu'on se retrouve tous ensemble à votre journée Portes ouvertes vers 11 h 15, après mes cours ! », dit l'enseignante.

Pendant ce temps-là, les gardiens du second barrage filtrant en sont à leur cinquième heure sur la route de Lunéville, juste au-dessus de l'usine d'où ils ont sorti des balles de « rogne de Chartreuse » en guise de chicanes. « Des chutes de carton qui sert à faire des chemises : deux couches de papier contre-collées sur du carton », explique le délégué CFDT Frédéric Balland. En rouge, en bleu, en vert, en orange, en jaune, les cubes multicolores illustrent le combat des Matussière : une rogne bien ordonnée.


Catherine MICHELET-FRÉMIOT (1) Le samedi 24 avril, de 10 h à 17 h, portes ouvertes à la papeterie de Rambervillers, avec visite commentée de l'usine, explication de la lutte et signature de la pétition de soutien. Tout le monde est invité.

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